Critique en bois #6 – « Danser à Lughnasa » de Brian Friel

S’il n’est pas rare d’entendre une musique qui a du souffle et une âme, il est plus rare de vivre une pièce de théâtre qui conjugue les deux !

Miracle sur la scène du Théâtre Mouffetard ce soir-là, consécration pour l’Entracte (la troupe du Celsa) et les années de travail qui précédent en forgeant le cœur d’une troupe … La pièce a une âme, chaude, vibrante, brute et émouvante.

L’histoire est une belle histoire de famille, enfin c’est une histoire de femmes : celle qui travaille pour nourrir la famille sans mains d’hommes pour la soutenir, celle qui travaille de ses mains fragiles avec sa petite sœur blessée dans son esprit, celle qui rêve de son amour perdu à qui elle a sacrifié sa réputation en portant son fils, celle enfin qui n’a plus de rêves mais garde l’énergie de son désespoir. Au milieu de ces femmes, un vieux prêtre de retour de mission, un peu fou, piégé dans des mythes de marabout. Il rappelle l’ancien temps, ce temps de la jeunesse et des rêves où tout était possible, où ces femmes étaient invincibles. La pièce est servie par des comédiens qui puisent dans leurs réserves pour tout donner. Pas de cachettes, pas de refuges, la vérité toute nue : du sang, de la sueur et des émotions.

Le décor est simple, le narrateur adulte s’entretient avec l’enfant désormais invisible qu’il était. Le texte est beau. Mais ce qui fait la force de ce spectacle, c’est la grande force, au delà des mots, qui s’en dégage : la danse se fait exutoire sur la terre fertile d’Irlande et dans le cœur pas tout à fait aride de ces femmes.  C’est dans le corps, c’est dans la chair, par l’intermédiaire d’une petite radio, planche de salut avec le monde, que ces femmes foulent aux pieds leurs désirs brisés, leurs vies bafouées.

Quand la lumière s’éteint, le silence se fait, les applaudissements éclatent, le théâtre est. La représentation au Théâtre Mouffetard est la dernière d’une longue série, couronnée de nombreux prix, décuplant la réputation que l’Entracte s’était forgée au fil des années. Une dernière émouvante, mais aussi plus professionnelle : les jeux se sont affinés, la cohésion s’est renforcée, on gagne en précision mais aussi en liberté de jeu. Assis dans le public, quelques spectateurs qui sont eux aussi passés par l’expérience Entracte, et qui savent combien c’est dur de se quitter, et combien cela peut changer leur vie, se regardent et applaudissent un peu plus fort.

Article : Clémence & Ariane