Critique en bois #4 – « Mary Poppins » de Cameron Mackintosh

La Mary Poppins de Disney à la cuisine de Cameron Mackintosh assaisonnée Broadway

Dire « Broadway » c’est invoquer tout un imaginaire : Times Square et ses innombrables néons et écrans, débauche de lumières et de foules diverses, l’âge d’or des musicals avec des artistes comme Cole Porter, Irving Berlin ou le duo Rodgers et Hammerstein et des théâtres à tous les coins de rues.

Dire « Cameron Mackintosh » c’est invoquer le talent d’un homme qui a créé ce qu’on appelle le megamusical. Il a su rendre international des musicals tels que Les Misérables, Le Fantôme de l’Opéra et l’autre célèbre Cats.

Dire « Broadway » et « Cameron Mackintosh » nous amène directement dans ce qui est maintenant le corner le plus touristique et prisé des grandes entreprises à Times Square : 42St. Dans les années 80, la 42St ancien fleuron de Broadway tourne au souffre en devenant le peu fréquentable et dangereux red light corner, le fief de la drogue, du crime, des prostituées et des boutiques glauques. Au milieu du red light corner, l’ancien théâtre du non moins sulfureux Ziegfeld (il anima la vie new yorkaise avec ses follies, des spectacles avec beaucoup de jolies danseuses très dénudées, sex sells) le New Amsterdam Theatre se dégrade et menace de s’effondrer. Avec la promesse du maire de New York de l’époque, Giuliani, de « clean » le quartier, Disney achète le théâtre et le restaure pour y lancer ses movicals, autrement dit ses musicals inspirés de ses films. Succès qui s’enchaînent sans se démentir.

Je n’ai jamais pu prononcer sans buter sur le mot supercalifragilisticexpialidocious, ce qui est extrêmement frustrant… Mais Mary Poppins était un de mes films préférés. J’admirais sans réserve Julie Andrews, la mère suffragette me faisait beaucoup rire, la scène dans le parc avec les pingouins ne cessait de me faire rêver (et danser avec mes frères). En allant voir Mary Poppins le musical, j’étais très impatiente et n’ai pas été déçue. Le New Amsterdam Theatre est un théâtre d’une exceptionnelle beauté : l’orchestre et ses dorures, des têtes de femmes très art nouveau pour les lumières, une salle en bas très américaine version XIXème siècle avec des peintures aux plafonds et des phrases sentencieuses courant le long des frises.

Un régal pour les yeux … et la sensation d’être dans un lieu historique et incroyable, la fébrilité au ventre avant d’assister à un grand spectacle. Le ton est donné avec un dessin (peint sur le rideau) de la maison de Cherry Tree Lane où vit la famille Banks. Puis c’est au tour des comédiens de nous entrainer dans la fantaisie de cette fable. Madame Banks un peu dépassée par son rôle de maîtresse de maison se trouve bien seule quand elle a besoin du soutien de son époux un peu trop froid (ce qui s’explique ensuite par son enfance difficile éduqué par une tante terrifiante) et ses enfants trop turbulants en manque d’amour de leur père. L’histoire est campée, Bert s’ajoute au tableau, mi ramoneur, mi peintre, mi amoureux de Mary Poppins, mi on ne sait quoi. Sans oublier l’amiral Boom qui nous a tous fait frissonner étant enfants … et tous les autres !

Le décor est incroyable : la maison de la famille avec mille détails et la chambre des deux enfants qui descend en fonction des scènes sans oublier le toit. Les effets spéciaux typiques de Broadway assurent leur part : le sac aux merveilles de Mary Poppins, une scène dans la cuisine où tout s’écroule et pour ma plus grande joie Mary Poppins « volant » dans la salle à la fin du spectacle fermement tenue à son parapluie perroquet.

Cependant ce qui fait à mon sens la magie du spectacle vient du jeu comique des comédiens. Jeu remarquable ! Mary Poppins interprétée par la très experte Steffanie Leigh monte l’escalier de profil avec sa main délicatement tendue, son visage innocent et ses expressions à la Julie Andrews sont charmantes. Elle ajoute son piquant par la puissance de sa voix et une espèce de pépite dans l’œil qui attire le spectateur. Les autres comédiens sont tous très drôles et même émouvants, Karl Kenzler qui joue Monsieur Banks tout particulièrement.

Quand il craint de perdre son travail à la banque et se renferme sur lui-même, blessé dans son ego d’homme et inquiet de ne pouvoir assurer la vie de sa famille, le texte prend une résonnance toute moderne et étonnamment sérieuse pour un spectacle qu’on attend pour enfants. Mary Poppins est mi sérieux, mi drôle, enchanteur très certainement avec des musiques qui vous habitent le cœur et l’esprit pour un certain temps, les effets visuels et la mise en scène ne manquent pas de finesse, ce qui donne un très beau et très abouti spectacle

… à voir de passage à New York avant qu’il ne vienne en France (le parapluie perroquet est très fort n’est ce pas ?)

Sur ce, Chim Chim Cher-ee … théâtralement vôtre.

Article : Clémence

Sources :

Showtime a history of the Broadway musical theatre de Larry Stempel ed. Norton

Showbill New Amsterdam Theatre Mary Poppins