Critique en bois #5 – « Broken Glass » d’Arthur Miller

Dimanche dernier, la Troupe en Bois s’est déplacée en masse pour soutenir le projet de L’Heure Egale, une autre compagnie de théâtre amateur parisienne à laquelle Laure appartient également. Nous sommes donc allé assister au Théâtre de Belleville à leur première représentation de « Broken Glass » du célèbre dramaturge américain Arthur Miller.

De quoi ça parle ? Alors, c’est l’histoire de Sylvia, une femme juive américaine, qui vit à New York en 1938. Elle est atteinte par les premiers échos de ce qui se trame en Allemagne pendant la Nuit de Cristal et, pour une raison inexplicable d’un point de vue médical, elle perd aussitôt l’usage de ses jambes.

Philip Gellburg, son insondable époux, l’étrange Dr Hyman, ainsi que leur entourage tentent alors de démêler le concret de l’impalpable, entre l’influence des évènements d’outre-Atlantique et celle de blessures bien plus proches…

Les membres immobiles de Sylvia disent l’impuissance de la raison devant les tyrannies en marche, qu’il s’agisse de lointains dangers ou du bruit familier de l’abandon conjugal. Bienséance de façade, passions contenues, besoin de reconnaissance : tels sont les codes de cette Amérique régie par une virilité qui doit tout étouffer, jusqu’à la plus élémentaire fragilité, reniée sur l’autel des convenances.

L’interprétation se distingue par sa retenue et sa sobriété.  Les sujets abordés sont délicats et aujourd’hui encore sources de débat dans notre société. Tirer sur la corde du mélodrame aurait été malséant.  On y préfère la furtivité et la délicatesse.  S’il y’a des éclats, ils sont rares.  Les hauts cris et les larmes ne sont utilisés qu’avec parcimonie. Ce qui compte par-dessus tout c’est une certaine dignité. Les comédiens la confèrent naturellement à leurs personnages.  Pas un seul instant ils n’apparaissent compassés. Cette « tenue » permet au spectateur de saisir toutes les nuances du texte et d’avoir un regard critique sur ce qui se déroule sous ses yeux. Ce qui n’empêche pas aux moments clés de l’intrigue des montées d’émotion. Au contraire, ces dernières en ressortent d’autant mieux. Autre chose appréciable, c’est le refus de porter un jugement tranché sur le caractère des personnages et leurs valeurs morales. Il y a une compréhension et une tendresse certaine pour tous, y compris ceux qui pourraient sembler à première vue antipathiques.   Le mystère reste présent  sur leurs motivations profondes et une seule chose y est affirmée : l’existence d’un amour profond et  maladroit qui blesse autant qu’il peut sauver.

Parlons maintenant des décors de Broken Glass : intimistes et feutrés, ils recréent à la perfection l’intérieur cosy d’un appartement des années 30 et le sérieux du bureau d’un grand médecin américain. Ici tout semble être d’époque, même la radio qui distille des standards jazzy américains savamment choisis.

L’originalité de ces décors ? Le parti pris d’une mise en scène qui divise le plateau en deux : d’une part le bureau du Dr Hyman, de l’autre l’appartement des Gellburg et un excellent jeu de lumières qui permet de passer d’une atmosphère à l’autre.

Ce qui transparaît le plus de ces décors, c’est la semi pénombre dans laquelle ils baignent, un état de clair obscure permanent, comme pour mieux souligner que malgré la gravité de la situation de l’héroïne Sylvia, la lumière n’est jamais loin.

Quant aux costumes des comédiens, ils sont un régal pour les amoureux du rétro : costumes trois pièces pour eux, jupes taille haute pour elles… A les voir, on a envie de réhabiliter les complets et les coiffures des comédiennes nous donnent envie d’apprendre à faire un chignon banane !

L’Heure Egale donnera une dernière représentation de « Broken Glass » le mercredi 6 juin à 21h30 à l’Essaïon (6 Rue Pierre au Lard 75004 Paris). Alors n’hésitez pas à sauter sur l’occasion pour goûter au génie d’Arthur Miller et apprécier les talents de L’Heure Egale !!! Informations et réservations sur : brokenglass.lapiece@gmail.com et sur Billetreduc.com